Mardi
Chère Elisa,
Comme tu le sais, Henri a décidé de déménager le bureau, l’affaire se fera en deux temps, nous quittons le vieux bâtiment de la rue neuve Sainte Catherine pour un plateau moderne quelque part près du palais des congrès de Strasbourg. Passer ainsi de la jungle des rues tombées dans la mer Méditerranée à une ville dont mon seul souvenir actuel est la place du Corbeau et un restaurant où l’on me servit une infâme bouillasse de choux blancs est un peu stressant.
Je ne devrai pas m’y faire longtemps, heureusement, Henri m’a assuré que ce bureau n’avait de raison d’être que pour y régler facilement des problèmes européens de publication, car, sans doute l’as-tu appris par la presse, Henri va se lancer dans l’édition internationale, c’est pour cela qu’on déménage, le « pratique » dans la capitale de l’Europe et le « courant de pensée », un peu plus tard à Amsterdam, sur le Herrengracht paraît-il.
C’est en rangeant les cartons dans des petits conteneurs à roulettes, c’est facile pour le transport, que j’ai découvert une pile de chemises roses qu’Henri avait déposées derrière l’étagère au fond du couloir des archives. Sacré Henri, surprenante Elisabeth !
Cachottière !
Bien évidemment, j’ai ouvert et feuilleté chacun des dossiers, j’ai tout lu, ce qui m’a pris l’après-midi entière et trois heures sup que je facturerai d’ailleurs à ce cher Henri, je ne m’attendais pas à trouver tant de mystère derrière mon autoritaire et très gentleman patron et autant de fougue, de verve, de brutale sensualité dans le courrier que vous avez échangé.
Je m’étais bien douté, lorsque je t’ai vue débouler un matin dans l’office marseillais que « quelque chose » était arrivé entre toi et Henri, mais du diable m’emporte si j’ai imaginé un seul instant cette passion dévorante. C’était donc cela tes humeurs massacrantes, ta fuite un autre matin vers cet Ibiza où je te sais quasi nue offerte au soleil la journée durant. Tu as bien de la chance, moi, je vais continuer l’emballage, le déménagement, le rempotage dans la ville libre royale, trop germanique pour moi qui adore, tu le sais, Saint Lazare et le vieux port, Sormiou et les calanques, l’aïoli et le rosé d’ici.
Je te laisse, « il » vient de passer dans le bureau et tu sais ses regards, cette arme puissante qu’il utilise abondamment, pouvant ainsi sans mot dire aussi bien mépriser qu'adorer.
Je t’embrasse, chère ancienne et fugace collègue, à bientôt.
Marguerite dite Némo (c’est « lui » qui avait inventé ce mot sinistre : personne !), 26 ans, alcoolique homosexuelle abstinente depuis 17 mois.
(Grâce à la découverte de cette correspondance, pour la première fois depuis des années, je me surprends à sourire, à rire et à aimer les autres).
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire