24.11.07

Suite en cours

Elisabeth avait haussé les épaules : c’était vraiment simplet, elle venait d’ouvrir un ouvrage du goujat, elle y écrivit d’un trait de crayon rageur le mot « idiot » en marge de la page trente-cinq où le texte déroulait : Quand au cours du combat, ta chair me submerge, je défaille dans tes bras, ivre de ton parfum, à moitié asphyxié, en fait, je reçois la vie et je meurs de bonheur, au terme de la lutte je t'offre ma dépouille, celle superbe et désirable de la belle au bois dormant qui s'offre au prince des violeurs, me voilà suprême gibier pouvait-elle dire, d’une seule traite. On dirait du Mertens.

Puis elle se rendit compte qu’elle le rendait responsable de sa propre déception, de son enflammement, de sa fougue si souvent, si habituellement récompensée, ici bafouée. Cochon de secrétariat ! Putasserie d’administration. C'est très émouvant de parler à un mur des lamentations se dit-elle en regardant la peinture du corridor. Tiens, pensa-t-elle, cela s’écaille ici, il faudra que j’en avise le propriétaire.


Un moment se passa où la vie s’écoula, Simplement d’heures en heures il y avait comme une sorte de manque. Des journaux, des revues parlaient de lui, il était difficile de ne pas le voir ici à la rubrique littéraire, là dans une actualité féroce de tabloïdes annonçant sa liaison avec Victorine Mounier.
Un soir qu’elle relisait, une fois de plus ce « Rendez-vous à Colmar », elle buta sur une citation :
Chez l'homme l'espoir dépend simplement des actions de ce qu'il aime; rien de plus aisé à interpréter. Chez les femmes l'espérance doit être fondée sur des considérations morales très difficiles à bien apprécier. La plupart des hommes sollicitent une preuve d'amour qu'ils regardent comme dissipant tous les doutes; les femmes ne sont pas assez heureuses pour pouvoir trouver une telle preuve; et il y a ce malheur dans la vie, que ce qui fait la sécurité et le bonheur de l'un des amants, fait le danger et presque l'humiliation de l'autre.
Et puis une autre ...
Comment ferai-je pour prolonger à mon gré ce récit si touchant et si simple ; pour redire toujours les mêmes choses, et n'ennuyer pas plus mes lecteurs en les répétant que je ne m'ennuyais moi-même en les recommençant sans cesse.

Décidément, se dit Elisabeth, je n’avale pas cet HB524, je vais le lui faire savoir !



HB524. Elle n’encaisse pas ! Trou du cul d’intellectuel intimiste ! Lui en foutrais moi des courriers des lecteurs ! Un lecteur, cela veut du concret, du brut, du simple. L'homme est caché derrière un arbre, la fille passe, il lui saute dessus, jusque là c'est sympa, c'est normal, c'est naturel, chacun des lecteurs se voit Robin des bois emmenant Marianne, Thorgal sauvant Anicia, les uns sont très primaires, très physiques et démontrent la puissance de leurs muscles, d'autres sont vêtus de soies et de jabots, ils courbent la tête et arrondissent un geste ample avec chapeau à plume, ils s'inclinent devant une baronne, une duchesse, une princesse. Ils sont jeunes, ils sont beaux ils sont éternels, quelques uns sont riches de la côte ouest, viennent de descendre de leur voiture italienne carrossée de rêve rouge, revolver au poing, ordinateur portable au cou, ils empêchent le délégué du Smersch de prendre les actions de l'orpheline. Elle, elle se pâme, se refuse, se donne, jeu immuable de la séduction, ici elle est quasi à poil, ailleurs emballée sous mille cotonnades ou des flaflas transparents qui ne sont que translucides et il faut tout de même déballer pour apercevoir un bout de peau, toujours pareil, noir, blanc rosâtre ou jaunâtre, une ligne de muscles ou des bourrelets adipeux, un jeu de jambes, de bras, de fesses, les jambes s'écartent toujours à un moment donné de l'histoire, foufoune à l’air ou provisoirement derrière un bouclier de soie jaune. Constance comme la Reine sera empalée par un dard mâle vigoureux et impétueux, toute l'histoire du monde tourne autour de la grotte qui donne la vie, éternellement.

Qu’est ce qu’elles lui trouvent toutes, connasses ! Et lui gnia gnia gnia, elles sont moches !


Rageusement Elisa jette sur le sol une de ces revues, Oggi, des Italiennes à grosses fesses ! Pff....




Rage ! rage, Vraiment elle enrage.
— J’enrage hurle-t-elle en silence face à la psyché de sa chambre. HB524.


Je voulais lui écrire mon émoi, lui raconter comment dès la première lecture son livre m’avait trouvée, la nuit, le jour, tout le temps quand je l’avais lu et relu.
Qu'était-ce ? D'où cela venait-il ? Pourquoi fallait-il que je le relise encore ? Et pourquoi me suis-je sentie obligée de lui écrire et même dans cette autre lettre, des paroles ... et une troisième non envoyée encore, que je n’enverrai jamais ...
Cela vient-il de lui, cela vient-il de moi, du livre ou de quelque chose d'autre qui n'a rien à voir avec nous, et on s'est trouvé là comme ça dans un tourbillon ... ?


Elle remarqua qu’une lettre non encore décachetée traînait sur le petit guéridon du hall, une facture sans doute.
C’était encore un mot de Marguerite. Sacrée Némo, elle aussi en surchauffe ?

Ma chérie,

Comme tu le sais, j’ai relié les documents que j’ai découvert dans la fameuse chemise rose et les ayant lus (certains deux fois plutôt qu’une – dis-donc, tu es une coquine un peu cochonne non ?) je les ai présentés à Monsieur Coquet, tu te rappelles de lui, un beau vieux toujours tiré à quatre épingles, moustache mille neuf cent, gilet et montre gousset en or, qui fonctionne ! Je l’ai sorti de ses rêveries autour des publicités pour le savon Lechat et quelques autres, il n’en n’est pas encore revenu de l’acceptation du patron de le faire gérer le département publicités. Il a tort, il est compétent et c’est grâce à lui que nos salaires sont payés avec régularité.
Je lui ai donc annoncé que j’avais besoin de son aide pour faire passer mon projet, la publication de la correspondance du chef et de Mademoiselle Kubly. J’en profite pour te dire qu’ici tu n’avais pas que des amies, on t’avait même baptisée Mademoiselle Qu. Et je l’écris comme cela alors que d’autres au popotin plus important l’ont rondement écrit cul comme ça se prononce. N’en sois pas vexée, ce serait te faire de la peine pour rien d’autant qu’il est très joli.
Je lui ai donc annoncé que j’avais besoin de son aide pour faire passer mon projet, la publication de la correspondance du chef et de Mademoiselle Kubly. J’en profite pour te dire qu’ici tu n’avais pas que des amies, on t’avait même baptisée Mademoiselle Qu. Et je l’écris comme cela alors que d’autres au popotin plus important l’ont rondement écrit cul comme ça se prononce. N’en sois pas vexée, ce serait te faire de la peine pour rien d’autant qu’il est très joli.

Après délibération colloque et référence à ses ancêtres, Cloquet laissa tomber la bonne phrase :
Je vais t’aider, ce serait un bon coup de pub, le titre devrait en être : La demoiselle s’emballe, Tome premier, la demoiselle déballée, tome 2, ...... tome 3. L’intrigue est sinon forte du moins accrocheuse en ces temps de castings et autres démonstrations de nullités



La suite de la lettre de Marguerite était fort peu intéressante, elle y parlait d’Elisa comme d’une provinciale (pour qui elle se prend cette tarée ? une lesbienne ?) et comment qu’elle parlait de Monsieur Belle !
.../...l’auteur, un bellâtre qui ne devait son succès qu’à quelques unes de ses conquêtes, elle sait tout de lui, écrivain, pas même académicien, elle en devient amoureuse folle en le voyant passer à la télé, elle décide de le rencontrer, elle va réaliser son rêve : tomber dans les bras d’un people, devenir riche, annoncer sur le plateau de Drucker qu’elle va aider le tiers-monde, demander à son amant de devenir son mari, de rédiger des pamphlets pour l’humanitaire en déroute, Arielle et BHL puissance dix..../...

Incroyable, que dit-elle-là ? Comme s’il avait effleuré un moment Elisa de partir à la conquête de Henri pour son argent, pour sa notoriété ?

.../...J’ai retrouvé des notes à lui, des notes de restaurants et d’hôtel et des notes à toi, peut-être des pages déchirées d’agendas, d’un carnet de bord, d’un diary book, tenais-tu un carnet intime ? une lettre non envoyée qui sait où ? tu avouais même n’avoir pas tout compris de certains de ses textes, et que d’ailleurs ce qu’il écrivait pour la députation européenne t’avais rien à en branler. S’il a lu cela, le pauvre, il a dû avoir un choc, mais il a lu pire, tu ne l’as pas ménagé, encore heureux pour nous qu’il ne nous ait pas fait d’infarctus.

Mais je ne veux pas vous importuner inutilement, écrivais-tu, je sais que j’ai bien des défauts, tous sans doute à vos yeux puisque je suis une femme, orgueilleuse et désordonnée.
Écrivez-moi un petit mot si vous avez envie que je poursuive. Un tout petit mot, un simple oui.
Je ne sais pas ce qu’il y avait en dessous, c’est tout raturé, assez illisible, il y est question peut-on croire d’une Andrée de Montherlant, d’une exaltée, d’une allumeuse, d’une schizo d’une parano d’une déglinguée qui se raconte des histoires.

C’est fou ! Elle déforme elle désinforme, Marguerite était donc l’hégérie que je n’avais pas soupçonnée, pensa Elisabeth. Elle ne sait rien d’Henri et de moi. Elle n’imagine que le lucre, le sexuel. La diplomatie, l'argent ou l'occasion peuvent faire ouvrir un vagin, mais ils ne peuvent le réchauffer de tendresse comme fait l'amour. L'amour seul fait naître ce chaud rêve romantique qui adoucit et emmièlise la chair de la femme où l'homme s'engloutit tout entier.



Qu’elle publie ce qu’elle veut, je sais toutes mes lettres, toutes mes démarches, je sais qui j’ai été, comment je l’ai été, je connais par cœur les mots qu’il m’a écrit, j’ai dans la tête toutes les phrases qu’il m’a dite.
Il est en moi, ragea Elisabeth, il est à moi.


Elle se redresse. Elle réfléchit l'espace de quelques secondes. Elle se lève, se dirige vers sa chambre, grimpe sur lit pour se hausser, elle attrape la valise, rangée sur le haut de la garde-robe, d’un geste vif, elle la jette sur la courtepointe. Elle a décidé de partir.
Ouvrir la valise. Les gestes sont nerveux, les serrures rechignent. Se changer. Elle quitte cette sorte de salopette grise qu’elle portait, la dépose au pied du lit.

Éternel féminin, elle se mire dans la grande glace fixée sur la porte centrale du bahut.
Elle se sait jolie, elle l’est encore plus avec ces dessous noirs.
Elle ne va pas voyager avec cela, elle dégrafe le soutien-gorge, quitte le slip minimum.

En posant la main sur la porte de l'armoire, tout à coup l'idée lui vient qu'elle ne peut pas quitter ainsi son logement.
C’est un voyage, une expédition, il y a des choses à préparer, des objets à prendre, des courriers à faire, des amis à prévenir. Il faut imaginer un plan, si elle débarque ainsi elle n'aura jamais accès à ce bureau qui semble mieux gardé que la forteresse de Hautefort, que le château de Gaasbeek. Et l’homme, quelle réaction attendre d’un homme que l’on surprend ?

Elle s'assied. Se relève. Fait quelques pas. Elle va à la cuisine se servir un café, elle s'assied sur cette vieille chaise qui lui vient de chez sa grand’mère, se penche vers l’arrière, bascule un peu, hop, elle pose ses pieds sur la table et ferme les yeux.


Ça y est, elle se relève promptement. Elle sait ce qu'elle va faire. Elle enfile le premier jean qu'elle trouve, un pull, attrape son sac et les clés de la voiture. Elle va aller acheter ce qu'il faut pour mettre ça au point. Elle sourit en descendant les marches, tire la porte, la voici dans la rue, elle avance jusqu'à sa voiture. Elle sourit, en elle-même de ce à quoi elle pense. Tout en roulant, elle se moque d'elle-même.


(peut-être une meilleure lecture chez http:xianhenri.be ?)

15.11.07

Date de la poste.

Le mot presque anonyme lui est parvenu douze jours plus tard, Elisabeth ne pensait peut-être plus à celui à qui elle avait écrit.


Le secrétariat des éditions du Soleil a bien enregistré votre courrier sous le numéro HB524 que vous voudrez bien rappeler dans vos courriers ultérieurs.

Le service du courrier des lecteurs.
Marguerite Duchênois.